
Il y a 400 ans, des familles wallonnes prenaient la mer vers le Nouveau Monde, jetant les bases d’une relation unique avec la future ville de New York. Du célèbre achat de Manhattan par Pierre Minuit à l’influence culturelle et économique d’aujourd’hui, cette histoire transatlantique illustre un héritage discret mais profond, nourri par des valeurs de liberté, d’innovation et d’échange.
Aux origines d'un lien transatlantique
En 1624, une page méconnue de l'histoire de la Wallonie s'écrit sur les rivages du Nouveau Monde. Cette année-là, une trentaine de familles wallonnes embarquent pour l'Amérique à bord du navire "Nieu Nederlandt". Elles sont envoyées par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (Dutch West India Company) pour fonder une colonie dans ce qui est alors appelé la Nouvelle-Néerlande. Ces colons, souvent protestants, fuient les tensions religieuses qui agitent l'Europe et cherchent à bâtir une vie nouvelle dans un territoire encore largement inexploré par les Européens.
Parmi les Wallons ayant marqué l'histoire de la colonie, Pierre Minuit (ou Minnewit), natif de Tournai, joue un rôle central. En 1626, alors qu'il est gouverneur de la Nouvelle-Néerlande de 1626 à 1631), il procède à l'achat de l'île de Manhattan aux autochtones Lénapés, en échange de marchandises (verroterie, colifichets…) estimées à environ 60 florins. Cet acte symbolique, bien que controversé dans son interprétation moderne (début d’un long processus de dépossession des terres aux amérindiens), marque le début de l'expansion de la colonie et l'établissement de "New Amsterdam".
Le mythe à '24$', premier ‘deal immobilier’ de l’histoire de New York
L’achat de Manhattan par Pierre Minuit est souvent considéré comme l’un des "meilleurs deals immobiliers de l’histoire". Pour l'équivalent de 60 florins — souvent traduit par une valeur contemporaine d'environ 24 dollars —, les colons obtiennent une île stratégique au confluent de l’Hudson et de l’Atlantique. Bien que les notions de propriété foncière n’aient pas la même signification pour les Lénapés, cet échange officialise pour les Européens une implantation durable. Quatre siècles plus tard, Manhattan est devenue l’un des centres économiques les plus dynamiques et influents de la planète, abritant Wall Street, le siège des Nations Unies, ainsi que d’innombrables entreprises, institutions culturelles et innovateurs. De simple comptoir à mégapole mondiale, Manhattan incarne la spectaculaire transformation du Nouveau Monde, amorcée en partie grâce à ce que l’on pourrait qualifier de pari visionnaire.
Au sud de Manhattan, à Battery Park, un monument rend hommage à Pierre Minuit. Il marque l'endroit où il aurait conclu l'achat de l'île, et constitue aujourd'hui un lieu de mémoire pour les descendants et les admirateurs de cette page fondatrice de l'histoire de New York.
Retour au XVIIe siècle, les colons wallons s'établissent notamment sur l'île de Manhattan, où ils participent à la fondation du comptoir de New Amsterdam. Ils y introduisent leurs savoir-faire, leur langue, leurs croyances, et contribuent à façonner les premières structures sociales et économiques de la future métropole américaine. Leur héritage se retrouve aujourd’hui encore dans certains noms de lieux — comme Wallabout Bay à Brooklyn, issu de "Waal-bogt" (la courbe des Wallons) — et dans les armoiries mêmes de la ville de New York, qui affichent la date de 1625, référence directe à cette première colonisation. Choisi pour ses eaux naturellement profondes, le port de New York et ses ruelles alentours marquent le point d’arrivée des premiers wallons dans la baie éponyme.
La seule trace historique écrite existant encore à l’heure actuelle est une simple lettre en papier conservée aux Archives Nationales Hollandaises des Pays-Bas et qui s’adresse au Parlement hollandais (Haarlemerstraat, à l’époque) en rapportant le retour de mission du navire en provenance de New Amsterdam en 1626.
« L’histoire de l’achat de Manhattan par Minuit est devenue légendaire dans la mémoire américaine, sans doute parce que ce montant donne l’impression d’une véritable aubaine pour les colons. Quoi de mieux comme récit fondateur pour une île qui est depuis devenue la capitale du capitalisme ? », Museum of the city of New York
Après 5 ans de gouvernance dans une paix relative et une expansion du commerce et de la population d’origine européenne (jusqu’à 300 colons), Pierre Minuit est révoqué de son poste en 1631. Il restera dans le Nouveau-Monde, au service du Royaume de Suède en établissant la colonie de Nouvelle-Suède sur la rivière Delaware (près de Philadelphie).
Une mémoire active, mais méconnue
Pendant longtemps, la contribution des Wallons à la fondation de New York reste peu connue, souvent occultée par les récits dominants centrés sur les colons anglais ou néerlandais. Ce n’est qu’au fil des recherches historiques, notamment au XXe siècle, que cette mémoire est ravivée, grâce à des historiens belges et américains qui s’intéressent à la diversité des premiers peuples fondateurs des colonies nord-américaines.
Des commémorations ponctuelles, comme celle du tricentenaire en 1924, réactivent cet intérêt pour l’héritage wallon. Des initiatives locales voient le jour pour entretenir la mémoire des pionniers wallons. Des plaques commémoratives sont installées, des ouvrages publiés, des contacts rétablis entre les deux régions. Aujourd’hui, des institutions comme le Museum of the City of New York ou des centres d’archives américains conservent des traces précieuses de ces premiers Wallons d’Amérique (notamment à New Paltz dans l’état de New York). En Wallonie, le Musée de la Vie wallonne et plusieurs cercles d’histoire locale valorisent également cette page méconnue de l’histoire transatlantique.
2024 : célébrer 400 ans de présence et de liens
Le 400e anniversaire de cette migration constitue une occasion unique de réaffirmer et de réinventer les liens entre la Wallonie et la région de New York. En 2024, plusieurs événements sont organisés à travers les deux rives de l'Atlantique pour célébrer cette longue relation : conférences historiques, expositions, rencontres entre villes, initiatives scolaires, et manifestations culturelles.
Une coopération tournée vers l’avenir
Si les racines historiques sont profondes, les perspectives futures sont tout aussi prometteuses. La région de New York reste l’un des principaux hubs économiques, universitaires et technologiques au monde. Pour la Wallonie, il s’agit d’un partenaire stratégique pour développer des projets dans des secteurs porteurs comme les technologies propres (Cleantech), la santé numérique, la biotechnologie, les industries créatives ou encore l’aérospatial.
Des entreprises wallonnes comme EVS utilisent la ville de New York comme porte d’entrée sur le marché américain. Des coopérations académiques entre universités wallonnes (UCLouvain, ULiege, UNamur) et des institutions new-yorkaises permettent aussi des échanges de chercheurs, d’étudiants, et la conduite de projets communs.
Sur le plan culturel, des artistes, créateurs et compagnies de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont régulièrement invités à New York dans le cadre de festivals, de résidences ou d’expositions. Ce dialogue transatlantique entre mémoire et création contemporaines constitue un axe fort de la coopération actuelle.
Une diplomatie des valeurs partagées
Enfin, au-delà des échanges économiques ou culturels, c’est aussi une diplomatie fondée sur des valeurs communes qui se redéploie. Les Wallons partis en 1624 cherchaient la liberté de conscience, la paix, la prospérité. Quatre siècles plus tard, ces idéaux résonnent toujours dans les projets portés par les deux régions. L'engagement en faveur de la démocratie, des droits humains, de la durabilité ou de l’inclusion continue d’animer les coopérations actuelles.
Texte, Photos & illustrations © J. Van Belle & Jonathan Avau (AWEX/WBI)