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Le Télescope Einstein, une opportunité pour la Wallonie

Présentation du projet du Télescope Einstein à la Hanover Messe 2025 © E. Meunier - WBI
Présentation du projet du Télescope Einstein à la Hanover Messe 2025 © E. Meunier - WBI

Encore méconnu d’une partie du grand public, le projet du Télescope Einstein fait l’objet de toutes les attentions de nombreux acteurs en Belgique, notamment du Service Recherche & Innovation de Wallonie-Bruxelles International (WBI). En effet, une candidature belge, sous bannière Euregio Meuse-Rhin avec les Pays-Bas et l’Allemagne, est en balance avec celle de l'Italie et de la Saxe. La décision est attendue d’ici fin 2026 ou 2027.

Mais en quoi consiste-t-il ? Le projet Einstein est celui de la construction d'un détecteur d'ondes gravitationnelles... à 250 mètres sous terre! Pour rappel, les ondes gravitationnelles sont des ondulations de l'espace-temps qui traversent l'Univers, et donc la Terre, et qui sont produites lors d'événements cosmiques extrêmes (collision de trous noirs ou fusion d'étoiles à neutrons). Chaque jour, notre univers émet des vibrations lorsque des trous noirs ou des étoiles à neutrons se mettent en orbite ou entrent en collision quelque part dans l’Univers. Prédites par Albert Einstein en 1916, elles ont pu être mesurées pour la première fois par le détecteur américain LIGO en 2015. Aujourd’hui, plus de 1.500 chercheurs dans le monde travaillent sur les ondes gravitationnelles.

Un travail international pour soutenir le projet

Depuis 2019, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique travaillent de concert pour créer le plus grand observatoire mondial d'ondes gravitationnelles sur le territoire de l’Euregio Meuse-Rhin. Vassil Kolarov, directeur du Service Recherche & Innovation de WBI, ne cache pas l’importance du projet: « Le projet aura un effet structurant de long terme pour l’ensemble de la région. Je rappelle que l’objectif de l’Einstein Télescope (ET) est de détecter des ondes gravitationnelles par interférométrie (jeu de miroirs hyper précis, refroidis à 20°C au-dessus du zéro absolu et isolés de toutes vibrations parasites). En effet, l’ET va multiplier par 1.000 les télescopes actuels et ouvrira la porte à des nouvelles lunettes gravitationnelles. Il s’agit réellement d’une opportunité économique, scientifique, qui aura un fort impact territorial ».

Un impact économique et sur la recherche

La Wallonie est partie prenante de ce projet révolutionnaire qui pourrait permettre de mieux comprendre le big bang, la matière noire ou encore la structure de l’espace-temps. Universités, organismes scientifiques, institutions publiques... plus de 70 partenaires allemands, belges et néerlandais collaborent pour préparer la candidature de l'Euregio Meuse-Rhin. À titre d'exemple, le Centre spatial de Liège (CSL) travaille sur un prototype du cœur de l’instrument destiné à accueillir le miroir cryogénique, ET-CRISTAL. Cette technologie innovante recourant au froid extrême (-250°C) vise à améliorer la perception des ondes. Le miroir en lui-même est assez exceptionnel. Il devrait être poli par la société Amos, spécialisée dans ce type d’instruments. Ce miroir en silicium est aussi remarquable par sa masse. Pour un diamètre de 45 centimètres, il affiche une masse d’une centaine de kilos. Au final, plusieurs dizaines de tels miroirs équiperont le Télescope Einstein. Cette technologie innovante doit améliorer la sensibilité du télescope pour la détection des ondes gravitationnelles. Sous la houlette du Centre spatial de Liège, onze partenaires sont impliqués dans ce volet du projet. « Nous avons mis au point un prototype de miroir suspendu pour températures cryogéniques », précise le Pr Christophe Collette, du département Aérospatiale et Mécanique de la Faculté des Sciences appliquées de l’ULiège au magazine DailyScience. « Ce miroir doit être isolé des vibrations sismiques à très basse fréquence. Il s’agit d’une technologie radicalement différente par rapport à ce qui existe actuellement. Ce prototype unique au monde capitalise sur les expertises qui existent dans divers domaines. Je pense notamment au refroidissement radiatif - une technologie maîtrisée au Centre spatial de Liège - mais aussi au système d’isolation, à l’électronique, aux capteurs, à l’optique… ».

Une situation géographique extraordinaire

Aujourd’hui, la Wallonie est en plein centre de la banane logistique et scientifique européenne et n’est pas seule dans ce projet. « La Wallonie est désireuse d’impliquer un maximum de ses acteurs industriels et scientifiques, puisque plus de 80% de l’infrastructure pourraient être construits sous son sol ». Côté financement, les Pays-Bas ont provisionné un budget de 900 millions d'euros, la Flandre annonce une enveloppe de 200 millions et la Wallonie devrait suivre en tenant compte de son investissement initial lié au territoire mis à disposition. Les dernières estimations du coût total dépassent les 2 milliards d’euros, avec un retour sur investissement potentiel de 300 à 400% auprès des acteurs économiques, industriels et scientifiques, d’après les premières estimations.

Dans cette perspective, des informations relatives au cofinancement de l’Allemagne fédérale sont attendues avec impatience par les partenaires belges et néerlandais. 

Aujourd’hui, la nouvelle coalition belge fédérale a signalé que l’ET est une priorité nationale. C’est également une priorité pour la Wallonie, où le dossier est suivi de près par le Cabinet du Ministre Pierre-Yves Jeholet, sous la coordination générale de M. Michel Stassart, du GRE Liège. Les Pays-Bas coordonnent la stratégie internationale dans un groupe de travail auquel participent également les Affaires étrangères belges (fédéral, Flamands et Wallons). La Wallonie a mobilisé un nouveau budget de 10 millions d’euros au printemps 2024 pour financer des projets préparatoires de recherche visant à positionner au mieux nos acteurs scientifiques dans le concert des acteurs au niveau européen et mondial. 

Lors d’une réunion interministérielle récente entre la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne sur le Télescope Einstein, Frans Weekers, Secrétaire général du Benelux, a souligné l’importance de celui-ci pour l’Euregio Meuse-Rhin: « Ce projet représente un immense potentiel scientifique et socioéconomique pour la région et pour l’Europe. Le Télescope Einstein est un détecteur de troisième génération des ondes gravitationnelles. Il s’agit d’un projet scientifique innovant et de grande envergure, concernant les infrastructures de recherche. Le projet fait partie de la liste des grands projets de recherche prioritaires du Forum stratégique européen sur les infrastructures de recherche (Feuille de route ESFRI 2021) ».

En quoi consiste ce projet ?

Le Télescope Einstein est une machine souterraine affichant la forme d’un triangle équilatéral. Chaque côté mesure 10 kilomètres de long. Aux angles de ce triangle, on retrouve de lourdes structures destinées à abriter des miroirs et les détecteurs des trois interféromètres. Ces instruments doivent impérativement être déconnectés des perturbations terrestres (sismologiques) et humaines (vibrations du trafic, des éoliennes, etc.). 

Concrètement, ce télescope sera placé à 250 mètres sous le sol : forage important de terres et de roches pour amortir les activités humaines, de manière à ce que les interféromètres ne soient pas perturbés par les activités humaines en surface. 

Près de 80 % de l'infrastructure pourraient être situés dans le sous-sol wallon sur les entités de Plombières, Aubel et Welkenraedt. Constituée d'un sous-sol profond dur combiné à une couche superficielle molle et amortissante, la zone des Trois Frontières offre une géologie idéale pour garantir la très haute précision du télescope.

L’observatoire sera à peine visible, car les trois tunnels de 10 kilomètres du Télescope Einstein seront situés à 250 ou 300 mètres sous terre, afin de mesurer les ondes gravitationnelles en toute tranquillité. Ce Télescope Einstein enfoui sous terre à l'abri de toute interférence de surface pourra, selon les chercheurs, détecter 1.000 fois plus d'ondes que les détecteurs actuels. 

L’objectif ? Accroître les connaissances sur la physique des trous noirs, l'évolution des étoiles et les instants qui ont suivi le Big Bang. Le Télescope Einstein sera constitué d’une infrastructure souterraine composée de tunnels et cavernes dans lesquels seront installés des interféromètres lasers de très haute précision.

Un vrai projet à long terme, local et durable

Le projet se déroulera sur des décennies, exploité en plusieurs phases, dont près de 80% pourraient se passer en Wallonie pour des raisons géologiques et de stabilité des sols. La première phase actuelle est une phase de préparation technologique, la deuxième phase sera celle de la construction, la troisième, qui devrait durer 50 années, s’occupera de la gestion et de la maintenance des infrastructures de l’ET (et selon l’expérience acquise au CERN). 50% des activités liées à l’exploitation seront captées par des acteurs situés dans un rayon de 50 km. Une opportunité à ne pas sous-estimer et à préparer en activant les centres d’expertise et les entreprises qui joueront un rôle essentiel dans le projet de Télescope Einstein.

Autres concurrents

Actuellement, les candidatures sérieuses pour la construction/ installation de l’ET sont au nombre de trois : Euregio Meuse-Rhin (https://www.etest-emr.eu/ impliquant la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne), la Saxe et l’Italie (https://www.einstein.telescope.it) impliquant la Sardaigne). Pour rappel, l’Italie dispose déjà d’un « petit » détecteur d’ondes gravitationnelles, le projet Virgo (https://www.virgo-gw.eu/). Par ailleurs, les États-Unis, la Chine, l'Inde, l'Australie et le Japon développent également leurs propres télescopes à ondes gravitationnelles.

Quel impact sur la nature ?

Pour le site Dailyscience, le Pr Frédéric Nguyen, de la Faculté des Sciences appliquées de l’ULiège, explique que « le site est bon pour le service. Nous avons réalisé trois forages dans le cadre du projet et plusieurs dizaines de kilomètres d’imagerie du sous-sol. Nous avons également réalisé des tests afin de déterminer si les conditions relatives à la mécanique des roches étaient adéquates pour la construction du télescope. Tout cela nous montre que le site est favorable en ce qui concerne les niveaux de vibration, l’impact environnemental du projet et l’impact sur les eaux souterraines ».

Quand sera-t-il mis en service ?

Les représentants des pays européens qui soutiennent le projet (« Board of Governemental Representative ») décideront de l’emplacement du Télescope Einstein. La décision concernant le choix du site est attendue en 2026. A ce jour, la mise en service du télescope n’est pas attendue avant 2035.

En attendant, le dossier suit son cours. Les atouts de la Wallonie et de la Belgique méritent d’être mis en valeur dans ce projet d’envergure, porteur à la fois pour la recherche et pour les retombées économiques futures.

Cet article a été écrit par Vincent Liévin pour la Revue W+B n°168.

Projections du Télescope Einstein © ETpathfinder
Présentation du projet du Télescope Einstein à la Hanover Messe 2025 © E. Meunier - WBI
Projections du Télescope Einstein © Marco KraanNikhef
Projections du Télescope Einstein © Marco KraanNikhef
Projections du Télescope Einstein © Marco KraanNikhef
Projections du Télescope Einstein © Marco KraanNikhef
Présentation du projet du Télescope Einstein à la Hanover Messe 2025 © E. Meunier - WBI
Présentation du projet du Télescope Einstein à la Hanover Messe 2025 © E. Meunier - WBI
Infographie du Télescope Einstein © T. BalderNikhef

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