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IA : une terre fertile en recherche et développement avec des chercheurs de pointe

L’intelligence artificielle, tout le monde en parle. Que fait-on en Wallonie pour être, devenir ou rester les meilleurs en Europe ou au monde dans le secteur ? Venez, on va vous expliquer en essayant de rester le plus simple possible. Mettez votre ceinture. Attachez-vous. On est parti. Nous allons naviguer entre les pouvoirs publics, les universités, les centres de recherches, les entreprises. Toutes et tous, ensemble, ils doivent permettre à Wallonie-Bruxelles d’être à la pointe... un peu comme nous le sommes actuellement en biotechnologie dans le domaine de la santé.
 
Voici quelques mois, dans un précédent numéro de la Revue W+B, nous vous avions présenté le Trail Institute. Rétroacte. Il y a un peu plus de deux ans, le Trail (Trusted AI Labs), la Wallonie et  la Fédération Wallonie-Bruxelles ont uni les compétences des cinq universités francophones (UCLouvain, UMONS, ULB, UNamur et ULiège) et de plusieurs centres de recherche agréés (Multitel, Cetic, Sirris et Cenaero), soutenus par SPW-EER, DigitalWallonia4.ai et AI4Belgium. L’objectif était clair, comme l’expliquent les professeurs fondateurs du TRAIL, le Pr Thierry Dutoit,  président du Trail Institute et le Pr Benoît Macq, président du projet de recherche ARIAC by DigitalWallonia4.ai, soutenu par le SPW-EER (Recherche), l’AdN (Agence du Numérique) et AI4Belgium : « La recherche en  IA ne peut pas être menée de façon isolée, surtout si elle doit permettre de poursuivre la transformation de nos sociétés tant au niveau du bienêtre de nos citoyens que du développement durable ».
 
Avec une ferme volonté de développer une intelligence artificielle de confiance à un niveau d’excellence internationale, une communauté d’experts et de jeunes se construit autour de 5 domaines  d’application : la médecine, les médias, le manufacturing, la mobilité et l’énergie.

Des centres de recherche appliquée

Dans cette dynamique, les centres de recherche ont un rôle à jouer comme l’explique Anne-Laure Cadji, cheffe de projet de l’Institut TRAIL : « Nous voulons favoriser l’adoption de l’IA. Cette partie a été confiée aux centres de recherche agréés au travers de défis. Les chercheurs et chercheuses ont défini, en étroite collaboration avec des entreprises, pas nécessairement  actives dans le secteur de l’IA à ce jour, 8 défis collectifs. Les équipes impliquées dans ces défis publieront les briques technologiques et leurs méthodologies sur la plateforme ‘TRAIL Factory’  qui vise à faciliter leur diffusion et leur valorisation ».
 
Chacun de ces défis est placé sous la responsabilité d’un des centres de recherche agréés qui coordonne le travail des chercheurs et chercheuses des partenaires du projet. Dans chaque défi,  on retrouve une ou plusieurs des 4 grandes thématiques de recherche de TRAIL qui sont : l’interaction Humain-IA, les mécanismes de confiance en l’IA, l’intégration modèles-IA et les  implémentations optimisées de l’IA.
 
« Si on prend l’exemple de la modélisation (Acier, impression 3D, énergie des bâtiments...), nous travaillons au couplage entre les modèles et l’intelligence artificielle : comment l’intelligence  artificielle peut collaborer avec les modèles mathématiques d’une situation : on parle aussi, par exemple, de jumeaux numériques en médecine » explique le Pr Macq.
 
Thierry Dutoit évoque tout ce qui touche à « l’IA parcimonieux » : « comment faire quand on implémente une IA pour ne pas faire exploser la facture carbone ? ». Il est important de minimiser les ressources nécessaires à l’entraînement des réseaux de neurones, et à leur utilisation.
 
La recherche ouvre des perspectives quant à l’application de l’IA dans des domaines sensibles (médecine, justice, etc.). Il ne faut pas oublier la mise en place d’un mécanisme de confiance en IA. « Elle intègre des domaines où elle était encore inconnue (gestion des ressources humaines, administrations, fintech, sciences fondamentales, e-health, justice, industrie 4.0, etc.) ».
 
Enfin, l’implémentation optimisée de l’IA ne doit pas être oubliée. Deux obstacles importants doivent être levés : le manque de données correctement labellisées et le manque de capacités de stockage et de calcul sur des systèmes légers et embarqués.
 
Pour rappel, l’écosystème peut donc compter sur des centres de recherche appliquée comme Cenaero (qui fournit aux entreprises engagées dans un processus de progrès et d’innovation  technologique des méthodologies et des outils de simulation numérique lui permettant de concevoir et de réaliser des produits performants), CETIC (au service des entreprises qui développent  des logiciels et outils informatiques en lien avec leurs produits et services), Multitel (spécialisé en réseaux & télécoms, photonique appliquée, IoT, systèmes embarqués, IA, certification  ferroviaire qui accompagne les entreprises dans les projets d’innovation technologique et élabore et intègre des technologies émergentes au sein du tissu industriel) et Sirris (qui aide les  entreprises à faire les bons choix technologiques, à réaliser leurs projets d’innovation et les guide pour rendre leur business, produit et usine « future-proof » pour une croissance économique durable).

Le lien avec les centres et les universités

Aujourd’hui, la collaboration entre les universités se passe bien, comme le précise Anne-Laure Cadji : «L’été dernier, nous avions lancé un programme d’adhésion pour les entreprises en allant chercher dans chaque université l’expertise requise (santé à Louvain-laNeuve, hybride à Liège, NumediArt à Mons...). À présent, une entreprise, prestataire de service en IA et intéressée par les  services, pourrait découvrir les chercheurs que nous avons dans le domaine et les briques logicielles existantes, en lien avec les thématiques. Nous allons tester l’idée avec les entreprises pour voir si cela répond à leur besoin ».
 
De son côté, Nathanaël Ackerman, pilote de la coalition AI4Belgium et responsable de l’équipe AI, Web3 & Digital Minds au sein du Service Public Fédéral BOSA, confirme que Wallonie-Bruxelles regorge de talents et ce aussi dans des domaines d’excellence : « À titre d’exemple, dans le domaine du traitement d’images, le Pr Macq a acquis une réputation internationale, avec des  applications dans le domaine médical et de nombreuses applications industrielles. On peut également citer les travaux de Sébastien Jodogne ou le lancement par le Dr Giovanni Briganti de la  chaire interuniversitaire en IA et médecine digitale. À Liège aussi, le Pr Philippe Coucke est reconnu au niveau de la radiothérapie. Dans les industries culturelles et créatives, des médias et du  traitement de la voix à Mons, le Pr Thierry Dutoit bénéficie également d’une notoriété internationale. Il a piloté plusieurs projets européens et collaboré avec le Cirque du Soleil. Dans le  traitement des automatiques des langues, il y a le Cental (Centre automatique du traitement du langage) à l’UCLouvain. Cette dernière dispose également de grandes compétences en cybersécurité (Axel Legay) sans oublier l’UNamur, qui se distingue notamment par son centre CRID-NADI dont la compétence en  droit et éthique de l’informatique est importante. L’UNamur a aussi récemment reçu un prix international pour une application qui facilite l’interaction avec des personnes malentendantes  (dictionnaire français/langue des signes). J’insiste, ce ne sont que quelques exemples. L’ULB et la Flandre regorgent aussi de talents et l’écosystème belge développe des interactions de plus en plus fréquentes ».

Une recherche concrète

La « TRAIL Factory », une plateforme qui a pour ambition de devenir une TEF (Testing and Experimentation Facility) où les chercheurs et les entrepreneurs peuvent échanger des outils et des méthodologies d’introduction des nouveaux processus induits par l’IA. Les pôles de compétitivité comme BioWin et Mecatech sont en train d’intégrer l’IA : ICare, sur la maintenance  prédictive, Acapela, Aerospace Lab, Eonix (l’IA pour aller chercher des signaux au niveau de l’ADN de patients pour trouver des patterns liés aux maladies rares). Le Pr Macq souligne que « l’IA permet aussi de chercher la meilleure façon d’agencer une ligne de production pour avoir le moins de déchets possibles. Cela permet d’optimiser la production industrielle et de minimiser le nombre de pannes ».
 
Pour sa part, le Pr Dutoit évoque un autre exemple, celui d’une société de la région de Bruxelles qui commercialise des drones. « Nous utilisons l’IA pour optimiser en temps réel le parcours  d’un drone sur un site industriel et détecter des anomalies et des intrusions. Nous sommes également occupés à déposer un autre projet avec la société japonaise Takeda Belgium. Cela  concerne l’utilisation de transformeurs pour gérer au mieux les interactions entre humains et machines dans les processus de manufacturing ».
 
A son niveau, le Pr Macq le constate « l’intérêt grandissant aujourd’hui de la part des industriels à propos de la manière de concevoir des nouveaux procédés, notamment dans le domaine de la production pharmaceutique. Des travaux sont déjà menés dans le domaine du cancer (tumeurs mobiles, cancer de la prostate, protonthérapie notamment), mais aussi des véhicules autonomes  par exemple. Nous avons aussi un projet avec les trois services de soins intensifs universitaires de Wallonie : le CHU de Charleroi, le CHU Mont-Godinne et le CHU de Liège ».
 
Un autre enjeu sera celui de la cybersécurité : « Le projet wallon Cyberwal est structuré autour de 4 piliers : la sensibilisation et l’accompagnement, la formation, la recherche et l’innovation,  l’internationalisation. ‘CyberExcellence’ est un projet de recherche qui doit positionner la Wallonie comme acteur majeur de la cybersécurité sur le territoire national et international ». 

La question de la formation

Ce secteur en plein développement doit pouvoir compter sur des cerveaux et des bras compétents. « On constate une augmentation du nombre d’étudiants dans le secteur. L’IA est l’une des premières demandes au FNRS pour les bourses d’aspirant FNRS. C’est une tendance profonde », rassure Nathanaël Ackerman.
 
La volonté du projet est de fournir au moins 50 chercheurs (dont un tiers de femmes) auxquels s’ajouteront des boursiers FNRS, des assistants de recherche... « Ces personnes doivent avoir envie de rester en Wallonie pour développer l’IA chez nous. Nous voulons qu’elles puissent s’investir dans l’écosystème wallon en développement. C’est essentiel pour le développement  de la Région », ajoute le Pr Macq.

L'enjeu de l'Europe et du reste du monde

Aujourd’hui, la cartographie réalisée par AI4Belgium et ses partenaires (dont l’AdN, bien sûr) a identifié 89 sociétés comme des services providers, des products builders en IA au niveau de la  Wallonie. Citons par exemple B12-consulting, Sagacify, Agilytic, Skalup, Thelis, Depthen, Phoenix.AI… 600 chercheurs sont répertoriés, dont la moitié est intégrée dans le projet Trail. 
 
Par ailleurs, les Pôles européens d’innovation numérique (EDIH) sont des guichets uniques qui aident les entreprises et les organisations du secteur public à répondre aux défis numériques et à devenir plus compétitives. « La dimension européenne de Trail se développe notamment dans le domaine de la santé, mais nous travaillons à la rédaction de projets Interreg, Horizon Europe (médecine, développement durable, manufacturing...). Nous voulons être plus présents dans les projets européens. Les IIS, les Initiatives d’Innovation Stratégique, vont recevoir des  fonds pour augmenter leur présence dans les projets européens », ajoute le Pr Macq.
 
La volonté est d’avoir de plus en plus d’impact au niveau européen. Le projet Trail a évidemment dépassé les murs de la Région puisqu’il est déjà connu à Paris et Berlin notamment : « Nous sommes allés au salon Vivatech à Paris et nous avons participé au workshop de Berlin où nos chercheurs vont travailler avec les chercheurs allemands. Chaque année, on invite tous les  chercheurs et on les met au vert pendant 15 jours au sein d’un écosystème différent du nôtre. Cet été, nous allons repartir vers l’écosystème IA de Nantes », précise le Pr Macq. À noter que Wallonie-Bruxelles International (WBI) soutient ce workshop international annuel.

Les experts au top mondial

Petite région, petit pays peut-être... mais les experts renommés et le maillage sont un atout de Wallonie-Bruxelles et de la Belgique selon nos intervenants : « Nous sommes connectés avec des chercheurs axés à l’international en France, en Suisse, au Canada. Nous avons nos professeurs qui sont des experts pour d’autres organismes : je suis par exemple expert à l’Ircam et au  CIRMMT pour la musique et l’intelligence artificielle à Paris et à Montréal aussi », explique le Pr Dutoit. Le Pr Macq abonde : « Nous avons toute une filière avec le Japon au Nara Institut of  Technology. Nous avons des contacts réguliers avec le MIT : nous avons envoyé beaucoup d’étudiants chez Alex Pentland qui est une des grandes personnalités dans tout ce qui est l’IA  appliquée à des aspects sociologiques ». Pour info, Alex Pentland dirige le MIT Media Lab3 et le MIT Connection Science Program4, qui explore l’utilisation du Big Data et de l’intelligence artificielle pour une meilleure compréhension de la société humaine...
 
D’autres noms sont évoqués : Gilles Louppe (son objectif de recherche à long terme est de débloquer des découvertes d’un nouveau genre en faisant de l’IA une pierre angulaire de la méthode  scientifique moderne), Gianluca Bontempi, Marco Dorigo... Ou encore Yves-Alexandre de Montjoye, Vincent François Lavet... Plusieurs anciens étudiants sont à Lausanne ou chez Amazon  comme Thomas Drugman ou Olivier Petquin, directeur de recherche chez Google. « Nous sommes au-dessus de la moyenne de publication par chercheur en Europe. Nous avons une  production scientifique importante ».
 
Enfin, Wallonie-Bruxelles et la Belgique comptent dans ce secteur plusieurs ERC (European Research Council) Grants, une sorte de mini Prix Nobel Européen, comme Nicolas Gillis, Thomas Tust, Raphaël Jungers (système dynamique), Axel Cleeremans, François-Xavier Standaert…
 
NB : À noter qu’à Bruxelles, il existe l’initiative FARI (https://www.fari.brussels/fr) et en Flandre, le AI Flanders Program, piloté par iMEC qui a mis en place le Data & Society Knowledge Center,  l’académie d’IA flamande, notamment.
 
Par Vincent Liévin
 
Cet article est issu de la Revue W+B n°160.

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